Je suis  bénévole dans un service d’aumônerie dans un centre hospitalier de province, de moyenne importance, où je vais un après-midi par semaine dans un service de cancérologie. J’y vais aussi souvent le dimanche matin pour porter la communion à tous ceux qui dans l’hôpital en ont fait la demande.

Sont hospitalisés dans ce service de cancérologie

– les personnes en cours d’examens en vue d’un diagnostic

– les personnes en tout début de traitement,

– celles pour qui survient un incident plus ou moins grave de parcours

– et enfin celles qui sont en fin de vie.

Donc toujours des situations génératrices à priori d’angoisse. Il m’a longtemps paru impossible d’apporter mon témoignage autour de ce thème « Serviteur de la fécondité de Dieu » car j’ai toujours peur, malgré le désir d’honnêteté et de vérité, du décalage inévitable entre l’expression et le vécu, et ce encore plus quand il s’agit d’hôpital de la très grande distance qu’il peut y avoir entre les MOTS et les MAUX.

J’ai trouvé difficile de sentir et parler de mon expérience à partir de cette expression : « serviteur de la fécondité de Dieu ». J’ai recherché dans l’Evangile quelques passages où il est question de « serviteur ». J’en ai retenu trois dans l’évangile de Luc :

En Luc 17, 8-10, le serviteur après avoir travaillé tout  le jour s’entend dire par le maître :

« Prépare-moi de quoi dîner, ceins-toi pour me servir, jusque j’aie mangé et bu ; après quoi, tu mangeras et boiras à ton tour ? Sait-il gré au serviteur d’avoir fait ce qui lui a été prescrit?  Ainsi de vous ; lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire ».

Ce serviteur sait de façon très précise ce qu’il doit faire ; il reçoit des ordres du maître pour ce  qu’il se doit d’accomplir et sait ce que son travail  produit. Les rencontres avec les malades sont pour une part aux antipodes de cela :

  • Aucune consigne extérieure de ce qui doit être fait: d’ailleurs il n’y a rien à faire sinon être là, à la fois le plus intensément et le plus légèrement possible. Généralement aucune demande précise du malade. Près de lui, tout est à essayer de sentir intérieurement seconde par seconde de ce qui  pourrait « faire du bien », être  porteur d’un peu de paix, d’un peu d’espérance ;
  • Impossible de préparer à l’avance les visites et même souvent de savoir en frappant à la porte de la chambre qui est dans cette chambre.

La seule préparation possible se situe au niveau de la prière: demande d’être vraiment présente, demande de foi, de croire que, sans que nous sachions comment, l’Esprit puisse se servir de notre présence pour qu’advienne « quelque chose de bon, du bien» pour le malade.

Et c’est là que la réponse de Marie à l’Annonciation qu’on trouve aussi dans Luc: « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (Luc 1, 38) peut devenir une prière complètement adaptée à la situation.

Une autre figure dans l’Evangile du serviteur c’est celui de « qui attend le Maître »/

« Restez en tenue de service, soyez comme des gens qui attendent leur maître…heureux les serviteurs que le maître à ,son arrivée trouvera en train de veiller » (Luc 12,35-38) .

 

C’est là une figure du serviteur moins axée sur le « faire », mais axée sur une présence qui guette les signes d’arrivée du maître, des signes connus, attendus, reconnaissables à l’approche du Maître. Un Maître qui, Lui, se met à travailler dès son arrivée et devient le serviteur. Voilà un texte d’Evangile qui, d’une certaine façon, peut peut-être rejoindre le terme de « fécondité » de Dieu.

 

Mais dans un service de grands malades où rôdent toujours plus ou moins la souffrance et la mort, il est difficile de reconnaître aisément ce travail, cette fécondité du Dieu attendu si on traduit le terme « fécondité » par surplus d’abondance heureuse.  Il n’est pas rare d’entendre de la part de certains malades : « Je ne crois pas en Dieu car s’il y avait un Dieu bon, il ne laisserait pas souffrir ».

 

Et pour ma part, à la suite d’un après-midi de visites dans le service, ma conviction en la présence créatrice de Dieu à l’occasion de mes  rencontres avec les malades est beaucoup plus de l’ordre de l’espérance et de la foi plutôt que confirmée par ce que j’ai vu et entendu.

 

Pourtant, lorsque je suis interrogée sur ce que je vis à l’hôpital, s’il m’est toujours difficile de dire ce que j’y fais, j’ai souvent envie de parler de quelques rencontres qui me restent gravées au fond du cœur, qui m’émeuvent toujours lorsque j’y repense, et qui sont pour moi signes,  d’une présence aimante et agissante de Dieu. Je me suis interrogée sur ce qu’il y avait de commun entre ces rencontres pour que je les retienne ainsi et pour que j’y reconnaisse quelque chose de divin.

 

Ce qu’il y a, je crois, de commun entre toutes ces rencontres, c’est qu’elles comportaient quelque chose d’inattendu, d’imprévisible, de totalement surprenant comme un souffle vivant de bonheur là où il n’aurait dû humainement y avoir que désolation , un fait qui  me disait à moi, a posteriori, que malgré les apparences, l’homme souffrant n’est pas livré à lui-même, qu’il est habité par plus grand, plus doux, plus fort, plus heureux, que lui-même et qu’il est capable lorsque l’occasion s’en présente d’en exprimer la présence.

 

Je cite brièvement quelques uns de ces faits et de ces étonnements qui me travaillent encore :

 

  • Une malade qui quelques jours avant sa mort qu’elle sait proche me dit: « je n’ai plus de voix pour chanter des cantiques mais toute la matinée j’ai chanté dans ma tête »
  • A plusieurs reprises des malades plus très cohérents mais connus comme chrétiens qui retrouvent leurs repères lorsqu’on leur propose de prier et sont capables d’expressions de foi très fines et très ajustées
  • Un marocain musulman qui partage la chambre d’un autre malade à qui je porte la communion, et qui s’assied pendant tout le temps de ma présence sur le bord de son lit dans une attitude de prière infiniment respectueuse
  • Les soignants d’un service de soins intensifs qui acceptent de retarder la toilette d’un adulte mongolien à qui je porte la communion, qui et m’invitent à rester plus longtemps parce que cela peut détendre et  « faire du bien » à cet homme
  • Un homme jeune encore, qui a eu une vie difficile, mouvementée, avec une ou des périodes d’incarcération, qui demande d’ouvrir la chapelle pour y aller prier et qui, pour exprimer sa foi dit simplement : « avec moi, le Christ a gagné »
  • Un homme à l’aspect assez frustre, vivant seul isolé en campagne qui s’ennuie à l’hôpital et qui explique qu’ici il lui manque sa Bible car chez lui  il lit souvent l’Ancien Testament et cette lecture dont il se sent proche le rend heureux

 

 

J’ajoute un fait rapporté par l’aumônière de ce même hôpital : une malade atteinte de la maladie d’Alzheimer dont l’entourage avait dit : ce n’est pas la peine de lui parler, elle est complètement perdue ; elle s’approche quand même et parle à la malade qui lui dit : « Vous sentez bon la vie »

 

Comme l’herbe qui parvient a pousser là où il ne devrait y avoir que le désert, il me semble que dans tous ces faits d’une façon inattendue, imprévisible, la vie, le bonheur, la relation parviennent à traverser la chape de souffrance et de désordre de nos vies : la vie plus forte que tout ce qui conduit à la mort, le bonheur plus insistant que tout ce qui devrait le chasser, l’attention à l’autre plus forte que toutes les peurs. C’est peut-être ainsi qu’après avoir essayé de relire un peu les heures passées à l’hôpital, se dit pour moi, la fécondité de Dieu.

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