Aux participants a la Rencontre Internationale des Instituts Séculiers
L’efficacité apostolique dépend de la sanctification personelle

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Chers Fils et chères Filles dans le Seigneur,

1. Soyez les bienvenus. Nous accueillons votre visite avec beaucoup de considération, en raison de ce qui vous distingue dans l’Église de Dieu, sans que le monde en voie les signes extérieurs, c’est-à-dire votre qualité de représentants des Instituts séculiers réunis en Congrès, et en raison des intentions qui vous ont incités à faire cette visite.

2. Vous vous présentez, en effet, à nous dans une attitude de confiance, en nous manifestant ce que vous êtes: des personnes consacrées au Christ dans la vie séculière; et dans une attitude de fidèle et généreuse offrande à l’Église, en interprétant ses finalités premières: célébrer l’union mystérieuse et surnaturelle des hommes avec Dieu le Père, union instaurée par le Christ, notre Maître et Sauveur, moyennant l’effusion de l’Esprit Saint; et instaurer l’union entre les hommes en les servant de toutes les manières, sur le plan de leur bien-être naturel et sur celui de leur fin supérieure, le salut éternel.

3. Nous sommes vivement intéressé et ému par cette rencontre qui évoque pour nous les prodiges de la grâce, les richesses cachées du royaume de Dieu, les ressources incalculables de vertus et de sainteté dont dispose encore l’Église aujourd’hui, cette Église qui, comme vous le savez, vit au milieu d’une humanité profane et parfois profanatrice, fière de ses conquêtes temporelles, mais fuyant la rencontre avec le Christ alors qu’elle en aurait tant besoin; cette Église qui est traversée par quantités de courants ne favorisant pas tous son développement dans l’unité et la vérité auxquelles le Christ voudrait que ses fils aspirent avidement; cette Église, olivier multiséculaire et historique, dont le tronc tourmenté et noueux semblerait incarner davantage la vieillesse et la souffrance que la vitalité printanière, mais qui est aujourd’hui capable, comme vous le montrez, de donner une nouvelle et vigoureuse frondaison, et de promettre des fruits d’une abondance insoupçonnée. Dans cette Église d’aujourd’hui vous représentez un phénomène caractéristique et très consolant. C’est en cette qualité que nous vous saluons et que nous vous encourageons.

4. Nous pourrions, et nous aimerions, vous dire comment l’Église vous voit et – depuis ces dernières années – vous reconnaît; vous dire ce qu’est votre réalité théologique dans l’enseignement du IIe Concile du Vatican (Lumen gentium, 44; Perfectae caritatis, 11), ce qu’est la description canonique des formes institutionnelles que revêtent ces Instituts de chrétiens consacrés au Seigneur et séculiers, quelles sont leur place et leur fonction dans le peuple de Dieu, leurs caractères distinctifs, leurs dimensions et leurs formes.

5. Mais nous avons pensé que tout cela, vous le connaissez fort bien, et ce regard sur vous-mêmes, sur ce que vous êtes, est peut-être superflu. Nous savons la sollicitude dont vous entoure le dicastère de la Curie romaine qui est chargé de vous guider et de vous assister; nous connaissons les exposés approfondis qui ont été faits pendant votre Congrès. Plutôt que de tracer encore une fois votre image canonique, nous préférons nous arrêter, avec discrétion et sobriété, sur l’aspect psychologique et spirituel de votre façon particulière de marcher sur les traces du Christ.

6. Arrêtons un instant notre regard sur l’origine intérieure, personnelle et spirituelle – nous dirions volontiers: secrète – de ce phénomène, sur votre vocation. Si celle-ci a beaucoup de caractères communs avec les autres vocations qui s’épanouissent et devraient s’épanouir davantage dans l’Église de Dieu, elle s’en distingue cependant par certaines caractéristiques propres qui méritent d’être considérées à part.

7. Nous voulons d’abord souligner l’importance des activités réflexives dans la vie de l’homme. Ces activités sont très estimées dans la vie chrétienne, et elles ne manquent pas d’intérêt, spécialement dans certaines périodes de la vie des jeunes, parce qu’elles sont déterminantes Nous appelons conscience ces activités réflexives, et chacun en sait la signification et l’importance. On parle beaucoup de la conscience aujourd’hui; que de fois revient ce terme, à commencer par le rappel continuel de sa lointaine aurore chez Socrate, puis de son réveil dû principalement au christianisme, sous l’influence duquel, dit un historien, “le fond de l’âme a été changé” (cf. TAINE, III, 125).

8. Nous portons notre attention ici sur le moment particulier, connu de vous tous, où la conscience psychologique, c’est-à-dire la perception intérieure que l’homme a de lui-même, devient conscience morale (cf. S. Th., 1, 79, 13); où la conscience psychologique perçoit l’exigence d’agir selon une loi intérieure, inscrite dans le cœur de l’homme, mais obligeant extérieurement, dans la vie réelle, comportant des responsabilités très hautes et finalement un rapport avec Dieu. La conscience psychologique devient alors conscience religieuse. Le Concile dit à ce propos (Gaudium et spes, 16): “Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal … Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera (cf. Rom., 2, 14-16). La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu”. (Ici le Concile se réfère à un admirable discours de Pie XII du 23 mars 1952, Discorsi …, 14, p. 19 et s.).

9. Dans cette première phase de l’activité réflexive que nous appelons conscience, apparaît chez l’homme le sens de la responsabilité et de la personnalité, la perception des principes existentiels et leur développement logique. Ce développement logique chez le chrétien se souvenant de son caractère baptismal conduit aux notions fondamentales de la théologie sur l’homme qui a conscience d’être fils de Dieu, membre du Christ, incorporé dans l’Église, revêtu de ce sacerdoce commun des fidèles dont le Concile a rappelé la féconde doctrine (cf. Lumen gentium, 10-11) et d’où naît l’obligation pour tout chrétien d’aspirer à la sainteté (cf. Ibid., 39-40), à la plénitude de la vie chrétienne, à la perfection de la charité.

10. A un moment donné, et non sans la lumière fulgurante de la grâce, cette conscience, cette obligation s’éclaire intérieurement et devient vocation. Vocation à une réponse totale: pour certains, vocation à professer vraiment et complètement les conseils évangéliques; pour d’autres, vocation sacerdotale; pour quiconque entend cet appel dans son coeur, vocation à la perfection – vocation à une consécration par laquelle l’homme fait à Dieu le don de lui-même, en un acte à la fois de volonté et d’abandon. La conscience devient un autel sur lequel on s’immole: ” que ma conscience soit ton autel”, dit saint Augustin (En. in Ps. 49; PL XXXVIII, 578). C’est le fiat par lequel Marie répond à l’annonce de l’ange.

11. Nous sommes encore dans le domaine des activités réflexives, que nous allons appeler vie intérieure: ici la vie intérieure se transforme en dialogue; le Seigneur est présent: “la conscience des saints est demeure de Dieu”, dit encore saint Augustin (En. in Ps. 45; PL XXXVI, 520). On s’adresse au Seigneur, mais pour lui demander ce qu’il attend de nous, comme saint Paul à Damas: “Seigneur, que faut-il que je fasse?” (Actes, 9,5). La consécration baptismale de la grâce devient alors consciente et s’exprime en une consécration morale volontaire, qui s’étend aux conseils évangéliques et aspire à la perfection chrétienne. Telle est la première décision, la décision capitale qui engage toute la vie.

12. Et quelle est la seconde décision? Nous en arrivons alors à l’élément nouveau qui fait votre originalité. Quelle sera en fait la seconde décision? Pour vivre cette consécration, quel mode de vie choisira-t-on? Devrons-nous abandonner notre forme de vie séculière ou pourrons-nous la conserver? A cette question que vous lui avez posée, l’Église a répondu: vous êtes libres de choisir, vous pouvez demeurer séculiers. Guidés par des motifs, certainement bien pesés, vous avez choisi de demeurer séculiers, c’est-à-dire de garder la forme de vie commune à tous, dans la vie du monde. Et par un choix ultérieur devant le pluralisme permis aux Instituts séculiers, chacun s’est déterminé selon ses préférences propres. C’est pourquoi vos Instituts s’appellent Instituts séculiers, pour se distinguer des Instituts religieux.

13. Cela ne veut pas dire que le choix que vous avez fait pour parvenir à la perfection chrétienne, que vous aussi vous vous proposez, soit un choix facile parce qu’il ne vous sépare pas du monde, de la vie profane, où les valeurs préférées sont les valeurs temporelles, et où, bien souvent, la loi morale est exposée à de continuelles et redoutables tentations. Votre discipline morale devra donc toujours être faite de vigilance et d’initiative personnelle. A chaque instant, le sens de votre consécration devra lui faire trouver la bonne voie; l’abstine et sustine des moralistes devra constamment être en oeuvre dans votre spiritualité. Voilà une nouvelle et habituelle activité réflexive, et donc un état d’intériorité personnelle qui accompagne le déroulement de la vie extérieure.

14. Un domaine immense sera ainsi ouvert à votre double mission: d’une part, votre sanctification personnelle, c’est-à-dire votre âme, et, d’autre part, la consecratio mundi, tâche si délicate et attirante, comme vous le savez, c’est-à-dire le monde des hommes, tel qu’il est, avec son actualité inquiète et éblouissante, avec ses vertus et ses passions, avec ses possibilités de bien et son attirance vers le mal, avec ses magnifiques réalisations modernes et ses secrètes déficiences ou ses inévitables souffrances. Vous marchez sur un plan incliné, où la tentation de facilité mène vers en bas, mais où l’on est stimulé à l’effort qui mène vers en haut. C’est une marche difficile, pour des alpinistes spirituels.

15. Mais dans votre hardi programme de vie, rappelez-vous trois choses:

1° Votre consécration ne sera pas seulement une obligation, elle sera une aide, un soutien, un amour, une joie qui sera toujours à votre disposition; une plénitude qui compensera tous vos renoncements et vous ouvrira à ce merveilleux paradoxe de la charité: donner, donner aux autres, donner au prochain pour posséder dans le Christ.

16. 2° Vous êtes dans le monde, non pas du monde, mais pour le monde. Le Seigneur nous a enseigné à découvrir sous cette formule, qui semble un jeu de mots, sa et notre mission de salut. Rappelez-vous que, précisément parce que vous appartenez à des Instituts séculiers, vous avez une mission de salut pour les hommes de notre temps. Aujourd’hui, le monde a besoin de vous, qui vivez dans le monde, pour ouvrir au monde les voies du salut chrétien.

17. 3° L’Église, elle aussi, fait partie de cette réflexion dont nous avons parlé. Le “sens de l’Église “, présent en vous comme l’atmosphère intérieure que vous respirez, doit faire l’objet d’une continuelle et habituelle méditation.

18. Nous devons tous l’avoir, mais je dirai que pour vous il devient l’aliment normal, habituel: vous devez respirer le sens de l’Église. Vous en avez déjà certainement éprouvé l’ivresse. Inépuisable inspiration à laquelle, spécialement après le Concile, les données de la théologie et de la spiritualité apportent un souffle tonifiant. Parmi ces données, il en est une que vous devez toujours avoir présente à l’esprit: vous appartenez à l’Église à un titre spécial, votre titre de consacrés séculiers; eh bien! sachez que l’Église a confiance en vous. L’Église vous suit, elle vous soutient, elle vous considère comme siens, comme des fils de choix, comme des membres actifs et conscients qui lui sont fermement attachés, qui sont bien exercés à l’apostolat, disponibles pour le témoignage silencieux, pour le service, et, s’il le faut, le sacrifice. Vous êtes des laïcs qui font de leur profession chrétienne une force constructrice pour soutenir la mission et les structures de l’Église, les diocèses, les paroisses, spécialement les institutions catholiques, et animer leur spiritualité ainsi que leur charité. Vous êtes des laïcs qui, par expérience directe, êtes mieux à même de connaître les besoins de l’Église terrestre, et peut-être aussi d’en découvrir les défauts. Que ces défauts ne vous incitent pas à une critique corrosive et peu généreuse; qu’ils ne soient pas un prétexte pour vous séparer, pour vous tenir égoïstement et dédaigneusement à l’écart, mais un stimulant à un service plus humble et plus filial, à un plus grand amour.

19. Vous, Instituts séculiers de l’Église d’aujourd’hui, portez nos salutations et nos encouragements à vos frères et à vos sœurs, et recevez tous notre Bénédiction apostolique.

Rome, le 26 septembre 1970.